La Libération de Malaucène (1)

« Jacques, dis-nous comment s’est passée la libération de Malaucène en 1944.

- ... ?

- Mais encore ? »

Mais encore ? Rien du tout ! Par contre, que voilà un beau sujet ! Mais ô combien délicat. Difficile à aborder, mais il faudra bien en parler un jour aux jeunes générations...

J’en connais bien quelques-uns qui doivent avoir des souvenirs. Pourquoi ne pas aller les voir ?

Commençons donc par l’ami Rémy Blanc. À l’époque, il avait 13 ans et il habitait « aux Écoles » parce que sa mère était directrice de l’école de filles.


Brève présentation pour ceux qui ne connaîtraient pas Rémy

Il a fait une carrière d’instituteur et de militant du monde associatif et politique. Il fut adjoint PSU au maire d’Alès pendant deux mandatures, militant chez les parents d’élèves, engagé dans une foultitude d’associations (géologie, mycologie, archéologie). Actuellement, nous

nous brûlons tous les deux les yeux devant des écrans d’ordinateurs sur d’anciens cadastres de Malaucène (1414, 1438, 1564). On vous en parlera une autre fois...

Nous n’allons pas manquer d’avoir des réactions de nos lecteurs. Sachez que j’ai une liste intéressante de personnes à aller voir et qu’il y aura une suite. Et je ne manquerai pas, ces entretiens-là terminés, d’aller voir ceux dont les parents ont été totalement impliqués dans cette histoire.

Jacques Galas



Un peu plus de détails

Quand celui qui était pré adolescent au Groupe scolaire se souvient... 

SOUVENIRS
DE LA LIBÉRATION DE MALAUCÈNE I
Il ne faut pas croire que vous allez interviewer Rémy comme bon vous semble. La Libération, oui, mais avant il faudrait parler de deux ou trois événements qui l’ont précédée. Pourquoi pas...
D’abord, il y a cet hiver 43-44, où j’étais pensionnaire au collège de Carpentras. Il y avait des alertes et, en pleine nuit, nous sortions nous planquer dans des tranchées à La Marotte et nous jouions aux billes au clair de lune. C’est probablement là que j’ai attrapé une sale maladie qui m’a obligé de passer mon troisième trimestre dans mon lit à la maison.

Le spectacle à travers la fenêtre de la cuisine
Ah, cette fenêtre !
J’entendais passer les avions alliés et, à travers la fenêtre, je voyais tomber des multitudes de bouts de papiers argentés sur Arfuyen qui servaient à brouiller les radars allemands. J’ai entendu aussi les tirs des armes automatiques lorsque les Allemands ont attaqué les Résistants vaisonnais de Lucien Grangeon et qu’ils ont brûlé le moulin Devine. Je voyais nettement la colonne de fumée et ma mère était très inquiète pour mon grand père qui habitait Saint-Marcellin.
Je me souviens aussi des moments passés devant la radio
pour avoir des nouvelles. Un jour, il y eut une longue panne d’électricité et les Malaucéniens allaient chez le père Pérotin, un excellent technicien qui avait fabriqué un poste à galène qui pouvait marcher sans le courant « officiel ».

L’avion du capitaine Jallier
Nous, la marmaille (surtout des enfants d’enseignants), nous jouions ce jour-là, à 10 heures du matin, dans le ruisseau derrière l’école. Nous avons vu débouler de derrière le Ventoux une escadrille d’avions de chasse qui ont rasé le col de la Chaîne pour aller mitrailler l’aérodrome du Plan de Dieu où
l’ennemi avait construit au milieu des chênes verts des abris éparpillés dans lesquels étaient cachés leurs avions de chasse. Cela faisait plusieurs fois que nous voyions les nuages de fumée des tirs de la flack allemande. Et quelques
secondes après nous entendions le bruit... Nous avons continué
de jouer et, dix minutes plus tard, nous avons vu les
avions revenir en sens inverse. L’un d’eux restait en arrière et tournait au-dessus de nos têtes. Il attendait l’un des siens qui sortit enfin accompagné d’une longue traînée de fumée noire et qui est allée s’abattre en direction d’Entrechaux. Nous sommes tous partis en courant jusqu’à la Croix de Florent.
On voyait une colonne de fumée monter du côté du Rieufroid et nous avons continué en direction de l’actuelle ferme Eyssartel. Là, des adultes nous ont ordonné de retourner chez nous car les Allemands risquaient d’arriver.
Insouciante jeunesse ! C’était le 31 juillet 1944, le jour de la disparition d’Antoine de Saint Exupéry.
Les Résistants et leurs amis ont recueilli le corps du capitaine qui avait sauté en parachute et dont la tête avait été coupée par l’hélice ou la queue. Le corps d’un côté, la tête de l’autre, recueillie par un autre groupe (on dit qu’elle est revenue du Buis cachée dans un camion d’abricots). Les Résistants ont conduit la dépouille du capitaine à l’Hôpital de Malaucène (l’actuel Oustalet) et ils ont organisé une veillée funèbre. Ils se relayaient deux par deux, d’autres Malaucéniens sont venus (entre autres, probablement Gustave Chaisse). Pons, le pâtissier et Tromel, le quincailler ont terminé la nuit. Et madame Pons, en se levant de très bonne heure a constaté que la Grand’Rue était occupée par des soldats allemands. Elle leur a raconté un bobard ce qui lui a permis d’aller avertir les deux hommes qui se sont vite planqués. Et ce sera la fameuse rafle allemande qui a emporté une bonne dizaine de Malaucéniens dans les prisons d’Avignon. Mais ils sont quelques-uns à mieux connaître les détails et ils te raconteront ça beaucoup mieux que moi.

L’épisode du tunnel du Barroux
C’était un dimanche matin (le 20 août selon Maquis Vasio de Lucien Grangeon). J’étais sur le Cours et deux camions de maquisards remontaient la route, direction Carpentras. Le dimanche après-midi, malgré les événements, jeunes et adultes jouaient à la pétanque sur la place. Nous voyons retourner
nos camions du matin. Les Résistants nous crient 
« Attention, les Allemands arrivent ! » Et le Cours se vide brutalement. Ceux de l’école, nous sommes tous partis chez Ubrun au Rieufroid. Les femmes ont dormi dans un lit, les hommes et les jeunes dans la fenière. Le rédacteur de tout cela se souvient bien que Malaucène s’est vidée par peur des représailles ennemies. Les uns sont allés au quartier des Crottes, quant à ma famille elle s’est planquée au fond de La Baume, en plein air sous de jeunes pins, au tout début de Commentiges, avec la famille de l’oncle de Rémy.
En fait, les Résistants avaient gagné le combat sous le tunnel du Barroux. Ils avaient fait des prisonniers et recueillis du matériel.
Les prisonniers ont été acheminés jusqu’aux Papeteries de Malaucène. Là, une information est arrivée disant qu’une colonne allemande montait sur Malaucène. Il fallait donc se replier dans les montagnes. Les prisonniers allemands ont pris peur et ils ont tenté de s’enfuir et ils ont été abattus. Plusieurs
versions circulent, notamment une racontant l’exploit
du jeune Résistant (« le petit Simon » ?) qui a fait lui-même prisonniers les Allemands.
Rémy reprend. 
Il y eut un autre épisode au Pont-Rouge où les Résistants avaient établi un barrage. Un jour, l’aviation allemande vient mitrailler ce barrage (voir témoignage n° 3). Un brave Vaisonnais, bourrelier à Malaucène, qui retournait chez lui a été blessé probablement à la jambe. Ce jour-là, toute notre bande était au bassin de Tussac dans lequel l’un d’entre nous vidait les poissons qu’il avait pêché dans le Toulourenc.

Et la Libération, dans tout ça ? Ce sera pour la prochaine fois !


LE DIAPORAMA


Rémy Blanc (juillet 2014)