La Libération de Malaucène (2)

C’est toujours pareil. Vous vous lancez dans un récit avec un plan bien précis et puis les circonstances et les personnages de ce récit vous conduisent où ils veulent, eux, pas où vous vouliez, vous.


Nous voici donc avec Lucien Beynet. Il a 17 ans à la Libération et travaille avec son père, boulanger

à l’angle de la Grand’Rue et de la rue du Vieil abbatoir. Ils sont trois frères : Lucien, Pierre et Raymond. En langage populaire : Lulu, le Colonel et Moune. Car les frères Beynet sont populaires et totalement intégrés dans la vie villageoise et dans le monde associatif. Après la guerre, ils « monteront » tous les trois à « la Fabrique » (aux Papeteries) et y joueront chacun leur propre

rôle. Tous les trois sont des amis personnels à cause du foot, de la pétanque, des jeux de cartes et d’un tas d’autres choses plus profondes. Tous les trois sont de magnifiqques techniciens tant dans leur métier que dans leurs loisirs. Pierre et Raymond ne sont plus de ce monde et Lucien ne se fâchera pas si lui et moi dédions cette page à ses deux frangins et à ses parents.

Le témoignage de Lucien est bien différent de celui de Rémy. Il est plus ancré dans la vie quotidienne

dans les carrières (rues) malaucéniennes, plus éloigné des événements officiels. Mais il est tout aussi intéressant : ce qu’il nous dit n’apparaît pas dans les livres d’histoire et si nous ne le livrions pas ici, ce serait définitivement oublié.

Jacques Galas



Un peu plus de détails

Le jeune mitron travaille déjà beaucoup mais il nous livre les distractions de l'époque...

SOUVENIRS
DE LA LIBÉRATION DE MALAUCÈNE II
Pendant la guerre et à la fin de celle-ci, la jeunesse malaucénienne ne manquait pas d’activités

Rémy Blanc a déjà évoqué les jeux des enfants autour de
l’école, leur curiosité pour tout ce qui touche « les événements ».
Lucien, lui, était plus âgé que Rémy. C’était un adolescent qui travaillait déjà dur et que l’on considérait comme un adulte. Avec quelques libertés (pas toutes !) qu’on laissait aux adultes.

Une surprise : des jeunes jouent au bridge à Malaucène
C’est probablement ce qui surprendra le plus les Malaucéniens d’aujourd’hui. Ces ados savaient jouer au bridge (dès 15 ans pour Lucien), probablement grâce au docteur Carrière qui était un grand pratiquant et à ses enfants qui ont fait des émules.
On venait jouer dans mon cabanon (qui devait être à l’emplacement actuel de la villa Beynet, aux Plantiers). Il y aura un temps de recul, puis, après la Libération, M. Gilet a relancé tout ça et nous étions nombreux à pratiquer ce jeu.

Les bals
Voici une activité un peu plus dans les normes d’une jeunesse rurale.Déjà, d’anciens Résistants m’ont signalé qu’ils descendaient quelquefois de leurs montagnes
pour venir au bal à Malaucène. Si mes renseignements sont exacts, il arrivait même que des jeunes filles du village rendent visite aux maquisards qui étaient à la ferme de la Chaîne et là, on devait aussi valser un peu pour oublier cette vie d’errances et de dangers.
Mais le souvenir majeur de Lucien c’est cet orchestre polonais qui, après la Libération, faisait le tour des communes de la région et qui nous a bien amusé. D'où venaient ces Polonais ? Bien sûr, ils avaient fuit l’invasion allemande, mais sont-ils arrivés dans les malles des libérateurs ? Voici peut-être un fait à creuser...

Le car de Julien Visserot
La génération née pendant la guerre se souvient de l’importance de ce car pour les déplacements du foot dans les années 1950.
Mais nous ne pouvions imaginer combien il était au cœur des loisirs des jeunes à la Libération. Nous allions danser à Carpentras à vélo mais quand nous étions nombreux, nous faisions un car. Et Julien accompagnait tout ce beau monde.
Plus surprenant encore, comme le stade de foot était éloigné du village (vers Entrevon, puis « au Grès de Lampavi »), le car nous conduisait de Malaucène au stade, il était archi plein et une fois j’ai pris un sacré savon de ma tante qui m’avait vu juché sur le marchepied
alors que le car était en marche.
Au passage, pendant la guerre, je me souviens d’un chef de district nommé Dutauzia qui reçut ensuite un collègue, Duplessis, qui était un excellent joueur de foot.
Quel était le rôle d’un chef de district ? Je ne sais pas, mais nous retrouverons probablement Dutauzia par la suite.
Et puis, entre autres amusements, la famille Beynet a aussi été obligée de découcher lorsque les Malaucéniens craignaient la venue d’une colonne ennemie (après le 20 août 1944). Nous sommes allés coucher dans une fenière à la Malautière et j’ai passé une drôle de nuit au milieu de rats et de souris qui dansaient la sarabande.

La musique
Il y avait un groupe de musiciens autour du père de Rémy, de Pons le pâtissier, de Stan de Vilhetto et de Séri de Bel Air. Et ces gens-là ont appris aux jeunes à jouer d’un instrument. Mais toutes les bonnes choses ont une fin. Vint le moment où la musique jazzie
des Américains a pris le dessus et le groupe musical de Malaucène s’est éteint.

La farine des Américains
La boulangerie a ravitaillé le Maquis. Lucien se souvient parfaitement du jour où l’un des officiers est venu en parler à son père. Il va falloir gérer les tickets d’alimentation et c’était pas simple. Encore moins simple parce que quelques très rares malins sont arrivés à fabriquer un faux tampon de la mairie et donc de faux tickets. Mais le pire semble être cette farine de maïs envoyée par les Américains.Non seulement, nous n’étions pas habitués à ce goût, mais en plus elle était avariée la plupart du temps. Aussi, papa Beynet et Jean Brémond (un autre boulanger, celui d’en haut de la Grand’Rue) se sont rendu à la Préfecture pour porter un échantillon de cette farine et se plaindre. Apparemment, les autorités étaient beaucoup moins à cheval sur la qualité des aliments qu'aujourd’hui et nous, boulangers comme clients, nous en avons été pour nos frais.

Des travaux pratiques aux écoles
Avant guerre, dans le Vaucluse, les enfants des écoles allaient ramasser des doryphores qui étaient en train d’envahir l’Europe et de ronger nos plants de pommes de terre. Pendant la guerre, les instituteurs nous conduisaient ramasser des glands et des marrons. Je ne sais pas trop ce qu’on en faisait, il paraît qu’on fabriquait du savon avec ça.

À part ça, matin et soir on montait le drapeau et nous étions obligés de chanter « Maréchal nous voilà »...


LE DIAPORAMA


Lucien Beynet (été 2014)

Le four des Beynet : de la belle ouvrage