La Libération de Malaucène (5)

Hommage à LP Degun pour lui d’abord,  pour l’une de ses belles histoires ensuite


Il s’appelait Pierre et il était un jeune cuisinier prometteur (il devint chef puis patron) exilé à Marseille lorsque les lois du STO ont été connues. Il est aujourd’ui décédé.


Sa famille était à Malaucène et son père travaillait aux Papeteries. C’était un excellent ouvrier qui avait pour ses patrons de l’époque un gros défaut : il était communiste. Pierre me disait que son patron lui avait proposé un avancement à condition qu’il démissionne du PC. Il refusa...


Une autre fille de communiste, Arlette Ripert, m’a confié que son père et d’autres membres du parti avaient alors régulièrement des réunions chez le marchand de cycles Callot. Et nul ne savait ce qu’il s’y disait. Nous ne vous en dirons donc pas plus à ce sujet.


Pierre, lui m’a confié au moins une chose : les dits parents avaient caché une famille juive. Mais ils ne pouvaient pas cacher Pierre qui, voulant fuir le STO, était parti de Marseille. Il m’a dit qu’il avait été Résistant contraint et forcé par cette loi et ils furent probablement des milliers à suivre ainsi sa voie. 


Il avait un véritable talent de conteur et nous l’avions incité à écrire quelques articles pour Les Carnets du Ventoux. Il signait alors LP Degun, pour Le Pauvre Degun. Amitiés, Pierre, à toi et à toute ta famille.

Jacques Galas

13 septembre 2014



Un peu plus de détails

Un Résistant de terrain qui conte et raconte...

ENFIN UNE TRÈS BELLE HISTOIRE
V

Et elles manquent les belles histoires pendant cette période de haine, de racisme et de sang ! Donc, s’il en existe quelques rares, ne nous en privons pas.
Pierre, comme beaucoup de jeunes hier et aujourd’hui, passait un peu dans le village pour un tête brûlée. Mais ne fallait-il pas être un peu tête brûlée pour faire ce qu’ils ont fait ?
Il eut donc à choisir entre une planque à Marseille, le départ au STO en Allemagne ou la vie à la dure, à la pluie, au froid ou à la chaleur, avec ou non de quoi manger... dans le Ventoux. C’est le pays natal qui l’a emporté.

Il m’a raconté comment il a rencontré Max Fisher l’un des deux chefs emblématiques du Maquis Ventoux mais je n’ai pas assez de souvenirs exacts pour en parler. Ce qui est certain, c’est que Max est parrain de l’un de ses enfants. Il a dû fortement être sollicité, Max, au sortir de la guerre, pour ces parrainages...

Voici donc Pierre dans le Ventoux, entre la ferme de la Chaîne, celle des Maillets et l’arrière-pays de Montbrun-les-Bains. Il m’en a conté des épisodes durs, difficiles ou croquigolesques comme l’histoire de sa blessure aux fesses... face à l’ennemi. À cette occasion, il a été soigné par le docteur Bernard (on disait le docteur Claude) de Buis-les-Baronnies qui mérite bien, lui aussi, un grand coup de chapeau. 
Mais, c’est promis, je vous livre le plus sympathique.

Quand un soldat allemand accueille un jeune à l’entrée d’un camp de Résistants
L’histoire m’est revenue d’un coup lorsque, lors d’un entretien, Michel Tromel me dit : « Après la rafle de Malaucène (on en parlera plus précisément un jour), mon père est allé voir un jeune pour qu’il aille avertir les Résistants qui étaient aux Maillets que les Allemands étaient à Malaucène.» Ce que fit notre jeune homme, mais quand il le raconte aujourd’hui à Michel, il lui dit qu’elle ne fut pas sa surprise d’être accueilli là-haut par... un soldat allemand ! Ce dernier lui répondit : « Je vais les réveiller, ils dorment tous ». La nuit n’avait pas été simple...

Un officier allemand mordu de culture gréco-latine
C’est là que je me suis souvenu d’un récit de Pierre. Il nous en parlait tout le temps et nous nous moquions souvent de lui car nous pensions que l’histoire était quelque peu exagérée.
Ils étaient trois amis de passage à Malaucène, lorsqu’un autochtone vient leur expliquer qu’un officier allemand, assis les pieds ballants derrière une charrette de paysan cheminait paisiblement vers Malaucène venant de Carpentras.

« Courageusement » (c’est Pierre qui met les guillemets), ils vont à sa rencontre, se mettent en embuscade et le font prisonnier. C’était bien un officier qui leur conte alors qu’il ne venait pas en espion. Il voulait simplement aller visiter les ruines de Vaison-la-Romaine.
Ils sont tous transférés aux Maillets. Nous devions être en plein mois de juin 1944, car Pierre qui faisait la cuisine, ordonnait au prisonnier des corvées d’abricots dont les vergers sont nombreux dans ce quartier. Et l’officier fut promus aide-cuistot.

Mais voici qu’arrive l’ordre de repli dû aux éventuelles troupes allemandes qui risquaient de passer chez nous (nous savons que, à part un mitraillage par un avion de la route de Vaison, elles ne passeront pas). La troupe du Maquis doit se replier vers ce que nous appelons aujourd’hui la Drôme provençale. Que fait-on du prisonnier ? On lui laisse le choix : ou il fuit avec ces « terroristes », ou il a droit à la « corvée de bois ». Il choisit évidemment la cavale...

L’homme qui a rencontré Dieu chez nous dans le regard d’une petite fille de quatre ans
Pierre répétait son histoire et nous souriions. Jusqu’à ce que René Grosso avec qui j’avais travaillé sur l’Histoire de Vaucluse en 2 tomes me signale par téléphone qu’un bien étrange ouvrage était arrivé au Musée de la Résistance  de Fontaine-de-Vaucluse. J’invite Pierre à se joindre à moi et nous voici devant le livre d’un auteur, ancien officier allemand, qui raconte sa guerre. Il était devenu prêtre à la fin de la tuerie parce qu’il disait avoir rencontré Dieu dans le regard d’une petite fille de 4 ans, alors que, prisonnier du Maquis, il effectuait sa corvée d’abricots commandée par un cuisinier communiste. L’horreur totale pour nazi, mais notre prêtre en souriait. Il s’est même trompé en citant le nom dudit cuisinier ce qui a fait exploser Pierre : « Le con, il n’y en avait qu’un de cuisinier coco, c’était moi ! » Ainsi, l’histoire de Pierre était bel et bien vraie.

Bien sûr, Pierre, mais qui était la petite fille ?



LE DIAPORAMA


Pierre au début des années 1990