Libération de Malaucène (7)

Un couple qui vieillit bien avec plein de souvenirs


Élise et Henri Ripert avaient respectivement 9 et 12 ans à la Libération. Élise vivait à la ferme de son père, entre Malaucène et le Crestet et Henri habitait aux Remparts. Son père était marchand d’œufs. Il y en avait un second à Malaucène, sur la route de Beaumont (qui devint l’avenue du Maquis qu’en juin 1945), Lucien Peyre. Les lois concernant le ravitaillement vont leur donner une place qu’ils n’avaient pas souhaitée.

Aux premières élections après la Libération, Eugène Ripert sera élu maire. Là aussi, les restrictions rendront ses fonctions insupportables. Un exemple cité par Henri : « On avait distribué 10 bons pour des pneus ou des chaussures par exemple et, en réalité, tu n’en disposais pas du quart en mairie. Comment tu fais ? Qui tu privilègies ? De toutes manières, tu as trois-quarts de mécontents ! »


Henri sera très vite un fils débrouillard et sportif. Débrouillard : il secondera son père dans des circonstances difficiles. Sportif : ceux qui ont l’âge de se souvenir n’ont pas oublié le demi-centre adroit et souple qu’il fut.


Élise et Henri symbolisent pour moi le respect d’une ligne de vie qu’ils n’ont jamais trahie. Ils n’en sont pas pour autant des conservateurs. Bien au contraire, ils essaient de s’adapter aux évolutions du monde moderne même si, dans un haussement d’épaule, ils constatent qu’elles sont quelquefois stupides.

Lors de l’entretien que nous avons eu, j’ai souvent pensé à cet autre couple que je vous ai présenté dans la précédente feuille : le couple du docteur Claude du Buis. Des milieux différents certes, mais une même philosophie marquée par la droiture.

Jacques Galas, 

27 septembre 2014



Un peu plus de détails


SOUVENIRS 
DE LA LIBÉRATION DE MALAUCÈNE (VII)
Retour sur les conditions de vie

Henri : C’est en aidant mon père dans son commerce des œufs que j’ai appris à conduire la voiture tout seul. J’avais douze ans !
C’était contrôlé par les services du Ravitaillement. Dans les campagnes il fallait déclarer les poules puis fournir un quota d’œufs. Mon père les collectait. On allait jusqu’au Crestet et à Séguret. Le père Peyre faisait le reste et on touchait des bons d’essence pour pouvoir le faire. Nous aurons une prochaine fois les documents d’une collection privée expliquant les modalités de cette collecte.
Élise : C’était pareil pour le lait. Chaque ferme ou presque avait une vache. Le ramasseur prenait chaque matin un bidon au bout du chemin et en laissait un vide pour le lendemain.
On faisait aussi des betteraves à sucre. Ensuite, ils te rendaient un sac de 30 kg de sucre brut. Les gens le savaient et venaient en chercher. On n’osait pas refuser et on en avait plus pour nous. Il y eut même une raffinerie du côté d’Orange et, entre autres cultures exotiques, le Vaucluse - et Malaucène - ont alors connu celle de l’arachide.
On faisait du pain à la cuisinière. Il y avait une machine à moudre le blé artisanale sous le hangar de Jean-Roger Plantevin. On tournait la manivelle à tour de rôle.
Le café, ont le faisait avec de l’orge. On le faisait griller en tournant un cylindre à manivelle sur du charbon de bois. Y’en a peut être encore une à la ferme. 
Quand il y a pénurie de carburants, le jus de coude et le sytème D reprennent le dessus...

Concernant le système D, Élise rajoute : Un jour mon père a attelé le cheval au tombereau. Il a mis au fond de celui-ci un demi cochon très bien emballé et il l’a recouvert de fumier. Il est allé comme ça jusqu’au Barroux, - accompagné un moment par un gendarme qui passait par là – et il a laissé le cochon en échange d’huile d’olive qui est revenue chez nous toujours cachée sous le fumier. Qu’importe les odeurs quand on manque de tout !

Les liens avec la Résistance
Élise : Mon frère était aux camps de jeunesse. Il n’ y était pas retourné et il avait pris le Maquis. Le jour de la Libération, ma mère entend du bruit, sort sur le balcon et crie « les Allemands ». Mon frère saute par la fenêtre de derrière et s’enfuie dans la montagne. Il revient plus tard en riant, c’est pas les Allemands, c’est les Américains ! Même confusion pour l’une des Malaucéniennes qui, un beau matin, vit les premiers camions US stationnés devant l’Hôtel du Ventoux. On n’osait pas croire que les Alliés arrivaient enfin.
Quant au frère, il n’eut pas à aller trop loin pour rencontrer des maquisards : ils  avaient un pied à terre du côté des Valaysses (quartier le Ravaillet).

Henri : Mon père et le grand père Philip qui se savaient suspects à cause de leurs opinions (socialistes) allaient coucher toutes les nuits au grangeon de Bigaude. Le matin, mon grand père allait les voir et leur dire si tout se passait bien. Si nous nous souvenons des épisodes précédents, ils étaient donc bien quelques-uns à découcher régulièrement.
 
Le jour de l’accrochage sous le tunnel du Barroux, Élise et ses parents ont couché dans les bois derrière la ferme (c’est une belle illusion : les bois pouvaient permettre de fuir). Quant à Henri, avec deux copains, il avait passé l’après-midi à aménager une grotte, dans le bois aussi,  derrière Rouyer (l’actuel Arts et Vie). Nous sommes rentrés le soir et nous n’y sommes plus retournés. Les jeunes du village, durant les années 1950, ont continué à aller jouer dans ces grottes : la guerre avait envahi l’inconscient collectif. Ces jeux simples sont peut-être périmés aujourd’hui mais la violence est probablement  plus présente encore.

Lucien Grangeon
Lucien Grangeon est le chef emblématique du maquis Vasio. Il nous a laissé un émouvant ouvrage, écrit sur le vif, immédiatement après la guerre, intitulé Histoire du maquis Vasio. Il était le neveu de Lucien Camaret, le papa d’Élise. 
Nous, en bas, on avait peur. Lucien Grangeon était souvent là (il adorait mon père). Il avait deux revolvers. Quand il arrivait, il les mettait sur la table. « Celui-là, c’est pour eux, et l’autre… c’est pour moi ». Chaque fois, il disait ça et j’avais peur.

Un jour qu’il était chez nous, on entend deux voitures arriver dans la cour. Mon père dit « Les Allemands ! ». Lucien le persuade d’aller les accueillir. Ils ont descendu de voiture et ils lui ont fait comprendre qu’ils voulaient boire. On a sorti du vin et de l’eau et on a servi deux verres. Mais l’un des Allemands a voulu que mon père goûte à son verre avant de boire. Et puis, ils sont partis sans entrer dans la maison.

Pas confiants pour deux sous ces ennemis mais, pour une fois, fort heureusement pas curieux...



LE DIAPORAMA


Elise et Henri, un couple qui vieillit bien

L'ouvrage de Lucien Grangeon