La Libération de Malaucène (12)

Le témoignage d’Héliane Rourre


Héliane (avec un H, SVP, et deux RR à Rourre !), c’est quelqu’un ! Elle te dit qu’elle perd la mémoire et, quand tu lui poses une question dont tu ne connais pas la réponse, soit elle te répond de suite, soit tu la vois hésiter un peu et tu te dis « c’est foutu, je ne saurai jamais »; mais voilà que soudain la mémoire revient, intacte et vivace. Et elle en profite pour en rajouter une couche sur le sujet ou un sujet voisin. Il faudrait pouvoir dupliquer son cerveau et le verser aux Archives départementales !


Et puis, il y a ce sourire qui dénote un bonheur de vivre malgré le poids de ses ans.  Il me semble qu’il y a peut-être bien un brin de complicité que l’on apprécie. Elle sait mettre son interlocuteur à l’aise. Merci à elle.


Héliane avait 14 ans en 1944. Son papa était mort en 1939 et elle vivait dans le Grand’Rue dans un appartement qui était dans le périmètre actuel de la Maison du Centenaire.


Jacques Galas

9 novembre 2014



Un peu plus de détails


SOUVENIRS 
DE LA LIBÉRATION DE MALAUCÈNE (XII)
Deux femmes seules

Ce sont ses collègues du cours de provençal d’Apprendre des Anciens qui m’ont fortement conseillé d’aller voir Héliane. Et nous sommes tout de suite entrés dans le vif du sujet.

Assurer le quotidien
Mon papa était maçon et il est mort en 1939. On a d’abord habité dans la Grand’Rue (un peu en dessous de l’actuelle Galerie Martagon) et puis nous sommes allés à l’École de garçons. C’est elle que je situe dans le périmètre actuel du Centenaire.
Sa mère, née Rouyer, avait quelques terres et elle se faisait payer le fermage « en nature », je veux dire avec des produits que les paysans pouvaient facilement leur fournir et qui leur permettaient de manger correctement de temps en temps. Et puis, Madame Cousin qui était pour les Résistants, nous fournissait quelquefois des pâtes. Ce même couple Cousin a abrité quelques temps une famille juive.
Et cette Madame Cousin me rappelle un cahier de la collection de Jacky Allemand sur lequel l’employé municipal a relevé scrupuleusement les noms des chefs de familles qui allaient recevoir une dotation de châtaignes, la quantité allouée en fonction du nombre de personnes du ménage et l’épicier chez lequel ils allaient s’approvisionner.

Les épiceries pendant la guerre
Ces épiceries vendaient évidemment des fruits et légumes. Le cahier en question mériterait une étude démographique et sociologique complète puisqu’on y trouve la taille de chaque famille. Contentons-nous, pour aujourd’hui, de mesurer l’importance de chacun de ces commerces.
Cette distribution de châtaignes a lieu en 1942.
Nom du commerce Nbre de clients
Beynet 112
Ramade 54
Robert 53
Casino 52
Malachier 49
Cousin 45
Tromel 43
Comtadine 42
Fourès 36
Le Soleil 27
Soit 513 familles, et nous avons la taille de chacune d’elles.  
On voit qu’Emma Beynet est de loin l’épicière favorite - en ce qui concerne les châtaignes en tout cas ! Son commerce était probablement à l’emplacement de l’actuelle marchande de tissus.
Ramade était exactement en face, là oùnous trouvons aujourd’hui le second magasin de Ventoux Bike. À l’emplacement de l’épicerie Robert  vous achetez depuis longtemps journaux et livres. Le Soleil était juste de l’autre côté de la Porte Cabanette. Le Casino est aujourd’hui remplacé par le restaurant  Chez Laurette, La Comtadine était du même côté de l’avenue de Verdun mais un peu plus bas. C’est le magasin de fruits et légumes d’Alain Illy qui est à la place des Cousin. Marthe Tromel et Malachier se trouvaient dans la rue, Place aux Herbes. Reste Fourès qui pouvait bien se situer en haut l’avenue de Verdun, non loin de la rue qui rejoint le Plan de Sauvan.

Des militaires qui cherchent fortune
Lucien Beynet nous a déjà parlé de ces militaires cantonnés à Malaucène non loin de l’actuel Centenaire. Héliane, nous rappelle que certains ont trouvé chaussures à leur pieds sur place. Citons par ordre alphabétique, Palanca, Pighiéra, Rasmus et... le mari de Jeannette Bonnet. De quoi rendre jaloux les jeunes Malaucéniens !

Quand on retrouve un prisonnier de guerre évadé
Les Allemands, je me souviens de les avoir vu descendre la route avec un gros chien. Ils allaient à la ferme de Julien Bègue qui s’était évadé d’Allemagne et était revenu chez lui. Pas plutôt arrivé, il a été dénoncé et, donc, Héliane se souvient de ce mauvais jour pour Julien. Mais Julien s’était bien planqué et « ils » ne l’ont pas eu. Si mes souvenirs sont exacts, Maryse, sa fille, m’a raconté tout ça et nous en avions fait un article dans un vieux, très vieux Carnets du Ventoux.

Un cartonnage à Malaucène
Héliane nous parle de tous ces événements que nos précédents interlocuteurs nous ont conté, mais elle livre quelque chose d’inédit et intéressant pour la vie du village.
Après la guerre, à 15-16 ans, elle est allé travailler dans le cartonnage qui existait au début de la route du Groseau, à droite en montant.Ce cartonnage appartenait à l’entreprise Macabet de Vaison (celle qui a édité les premiers Guides du Ventoux) et, sur place, Marie-thérèse Paume faisait fonction de directrice. Le mode de rémunération est intéressant. Nous étions payé à la « Grosse ». Une Grosse, c’était 12 douzaines de boîtes (de réglisse Zan) et nous devions donner deux boîtes par Grosse pour payer Marie-Thérèse. Et on pouvait emporter du travail à la maison. Et il fallait voir à quelle vitesse ces boîtes étaient construites.
J’aurai bien aimé avoir celle que j’ai toujours appelée Tata Mité sous la main pour parler de tout ça. Hélas, elle n’est plus là...



LE DIAPORAMA


Héliane Rourre