La Libération de Malaucène (14)

Prisonniers, déportés, fusillés…


Au regard des victimes décédées dans ce conflit, Malaucène a été à peu près épargnée. Mais il faut ouvrir les yeux, ce ne fut pas le cas partout.


Le Service du Travail obligatoire a déplacé plus de 8 millions de civils européens dont 600 000 français. Notons que certains étaient volontairement partis en Allemagne avant le vote et l’application de la loi.


Dans les camps, on compte 3 millions de victimes avec une majorité de Juifs, mais aussi des Roms et des déportés politiques.


Il y eut 1 879 Vauclusiens prisonniers de guerre. On en connaît au moins un à Malaucène, Julien Bègue, qui s’est évadé. Un autre Malaucénien d’adoption, Aimé Montlahuc, était célèbre pour un nombre important de tentatives d’évasions dont une dernière réussie. C’est dommage qu’il ne soit plus là pour nous les conter.


Enfin, la police allemande arrêta selon Aimé Autran (Le département de Vaucluse de la défaite à la Libération) 

1 237 personnes. 283 furent internés dans les prisons d’Avignon, dans d’autres prisons françaises ou même dans des camps (Chabanet, Vernet, Fort Barreaux ou en Afrique du Nord).

157 furent fusillées sur place et 430 déportées dans les camps de la mort. Parmi ces dernières, 133 n’en sont pas revenues.

Jacques Galas 

29 novembre 2014




Un peu plus de détails


SOUVENIRS 
DE LA LIBÉRATION DE MALAUCÈNE (XIV)
Deux déportés témoignent

Ils sont deux, bien connus des Malaucéniens, à avoir été déportés dans ces plus que tristes camps de la mort. L’un a écrit son expérience en rentrant. L’autre a attendu 2010 pour s’exprimer. Sur ces difficultés à témoigner, je conseille à tous un petit chef-d’oeuvre : L’écriture ou la vie de Jorge Semprun

Au temps des crématoires de Jean Geoffroy (1948)
Jean Geoffroy a connu trois camps : Buchenwald, Flossenburg et Hradischko.
Il a été arrêté par la Gestapo le 7 août 1943 en gare d’Avignon. Lui et sa secrétaire juive avaient été dénoncés. Elle n’est pas revenue des camps...
Jean fera un passage à la prison Saint-Pierre à Marseille puis sera  envoyé au camp de Compiègne où il arrive le 20 décembre. Là, il peut respirer un peu de grand air. Quasiment un luxe par rapport à la prison passée et  à ce qui l’attend !

Le 17 janvier 1944, lui et ses compagnons de misère sont embarqués dans des wagons à bestiaux, direction Buchenwald. Ce voyage est une première plongée dans l’horreur. À Buchenwald « nous n’avions plus de nom, nous n’étions plus rien, qu’un imperceptible grain abandonné dans les rouages immenses de la grande machine nazi. ». « Tous égaux dans la souffrance », avec le four crématoire qui « semble les guetter ». Haï de tous, y compris des prisonniers d’autres nations qui n’aiment pas les Français. Sa premier raclée, il la reçoit d’un Allemand anti-nazi.

Le 22 février, retour dans les wagons à bestiaux pour rejoindre Flossenburg surnommé « le camp atroce ».
Triangle rouge pour les politiques, vert pour les droits communs (assassins etc.) qui géraient le camp, noir pour les asociaux (vagabonds, souteneurs...) « Les détenus politiques étaient les esclaves des assassins, des maquereaux, des pédérastes. » Battus au réveil, battus à l’appel, battus à la soupe, au coucher et « enfin et surtout pendant le travail ». Comme ça, au « petit bonheur ». Avec, en plus, de la neige jusqu’aux genoux. 
« Pas un de nous n’espérait en sortir ». Mais, il est sélectionné pour un voyage de deux jours et deux nuits dans des wagons de voyageurs, chauffés, qui le conduit à Hradischko. Mêmes méthodes qu’à Flossenburg... Un nouveau contact avec les pires bassesses de la nature humaine.

Douze heures de travail par jour en été, dans des chantiers éloignés que l’on rejoignait après des kilomètres à pieds, sous un soleil accablant cette fois. À l’automne 1944, le moral n’y est plus. L’hiver s’annonce comme un « dur calvaire ».. Et toujours les horribles brimades des kapos ou d’autres.
En janvier, le rythme des morts s’accélère et devient infernal avec un massacre à la mitraillette fin mars 1945.
Le 26 avril, pour fuir l’avancée des Alliés, départ en train pour une étrange balade à travers l’Europe de l’Est. Puis, le 8 mai, le train s’arrête. Des civils tchèques sont là pour accueillir et soigner les prisonniers. Nombreux sont ceux qui vont mourir dans les hôpitaux. Jean a une grande reconnaissance envers les Tchèques. Quand il est entré en France, il pesait tout juste un peu plus de 40 kg !

75 902, de Paul Bermond
Paul Bermond a été directeur général des Papeteries de Malaucène. À l’époque, personne ne savait qu’il pouvait avoir inscrit dans sa chair le matricule 75 902.
À la retraite, il a commencé à témoigner dans les écoles et, en 2008, il a écrit un bref recueil. Pour témoigner au nom de ceux qui ne sont pas revenus. et « Pour que vous sachiez que c’est la solidarité et la fraternité qui ont transformé les victimes en vainqueurs. »

Il est arrêté en 1944 alors qu’avec d’autres jeunes il préparait le concours des Arts et Métiers. Il faisait déjà partie d’un groupe de sympathisants gaullistes. Le groupe fut collé contre un mur et subit un simulacre d’exécution. Horrible, mais ce n’était pas pour cette fois.
Transférés le 28 avril 1944, dans un local occupé par la Milice, ils seront enfermés dans une cave sans aération pendant un mois. Seule sortie : pour subir des interrogatoires plus que musclés.
Après le débarquement de Normandie, son groupe est conduit à la prison Saint-Paul à Lyon et enfermé dans une cellule dites « des condamnés à mort. »

Le 29 juin, ils partent vers Dachau où ils sont accueillis par l’inscription de l’entrée du camp : « Le travail rend libre ». Et on leur dit : « Vous êtes entrés par la porte, vous ressortirez par la cheminée (du crématoire !) »
Le 3 août, transfert vers  Kempten. Paul Bermond nous décrit le quotidien d’un camp. Comment s’organisent les groupes à l’intérieur (communistes, gaullistes, chrétiens), comment on est de toute manière soumis à l’arbitraire et à la cruauté. Comment on sabote les pièces détachées en travaillant à l’usine. Comment on crève de faim, de froid, de maladie, des bastonnades répétées... ou des bombardements alliés.

Et puis, il faut évacuer le camp devant l’avance alliée. Marches forcées de jour et de nuit. Les 300 français s’étaient groupés en queue de file. À un signal donné, ils partent en courant dans la nature en essayant d’éviter les balles des soldats.
Ils sont libres mais encore en territoire nazi. 
Ils se planquent dans une grange et le lendemain, en se réveillant, il a neigé, mais les Américains sont là.

Cette fois, ils sont vraiment libres. Paul Bermond était certainement loin de se douter que son destin lui permettrait un jour de participer de très près à une bien belle envolée des Papeteries de Malaucène...


LE DIAPORAMA



Jean Geoffroy, trois mois après sa libération

Un ami de Jean Geoffroy lors de sa libération


Dessin de Paul Bermond

Battus... Dessin de Paul Bermond

La douche. Dessin de Paul Bermond