La Libération de Malaucène (15)

Abel Liotard, 

le Chef de l’Armée secrète du canton de Malaucène


Me voici devant Dominique Bodon qui, comme chacun le sait, est maire de Malaucène. Mais ce n’est pas le maire que je viens voir, c’est le petit-fils d’Abel Liotard, chef de l’Armée secrète du canton de Malaucène, et le fils de Léon Bodon, militaire qui est entré en Résistance dans le Maquis Ventoux.


On se souvient tous du chalet Liotard au Mont-Serein. Nous y sommes pratiquement tous allés pour faire un bon repas à base de gibier. Le lièvre et la langouste de Maman Liotard était renommés ! Mais Dominique se souvient des années 1950 où à chaque mois d’août, les anciens Résistants débarquaient au chalet ou au chalet Fischer. Il en a entendu de toutes les couleurs et il regrette fort de ne pas avoir questionné plus son grand’père sur ses activités pendant la guerre. Nous avons tous fait pareil avec nos anciens, nous le regrettons aussi, mais nous devons ajouter qu’ils n’étaient pas tellement loquaces que ça sur ce sujet.


Abel est né à Velleron en 1891, il a fait la guerre de 1914-18, puis il est venu s’installer au Barroux en tant que boucher. Lui et son frère Marcel ont acheté l’hôtel du Ventoux dans les années 1930. Puis, après la guerre, Abel s’installera au Mont Serein. Il faisait tout pour faire partager son amour du Ventoux à ses clients, sachant préparer les pique-niques pour les randonneurs, ou les goûters pour les familles avec enfants et leur expliquant quels sentiers ils devaient suivre pour leurs promenades...

Merci à Dominique Bodon pour son accueil.

Jacques Galas

5 décembre 2014




Un peu plus de détails


SOUVENIRS 
DE LA LIBÉRATION DE MALAUCÈNE (XV)
Un engagement précoce

Les papiers que possède Dominique attestent qu’Abel est entré dans la Résistance dès septembre 1940, c’est-à-dire à une époque où seuls quelques individualités préparaient la naissance des grands mouvements que l’on connaît. Déjà, donc, à Malaucène, quelques courageux ne sombraient pas dans le Pétainisme bêlant qui était alors de lot de la grande majorité. J’écris cela mais il me semble vous avoir déjà dit que je ne savais pas ce que j’aurai fait à la place des Français de l’époque. C’est le grand point d’interrogation pour chaque personne de notre génération. Ce le sera certainement moins pour les générations suivantes...

Dès 1942, un groupe va se former autour d’Abel avec André Fontin, Jean Dutauzia, les frères Augier, Omer Rousseau, Paul Vendran et d’autres que nous ne connaissons pas. Nous aurions bien aimé savoir qui participait à ce qui va devenir l’AS (Armée secrète) et qui se réunira dans les locaux mêmes de l’hôtel du Ventoux. Et qu’est-ce qui pouvait bien se dire ? Ceux qui ont lu les chroniques précédentes subodorent qu’on recevait les armes, qu’on les planquait, qu’on s’occupait de faire manger les Résistants et, quelquefois, de transporter hommes, nourriture et armes. L’un de mes correspondants m’a même dit qu’il était certain que la viande qu’Abel achetait pour les Résistants était cachée dans le frigo ou la cave d’un voisin plutôt connu pour ses idées proches de celles du Maréchal (je n’ai pas écrit collaborationnistes). Dominique et moi pensons qu’à part quelques brebis galeuses, rares mais terriblement efficaces, il y eut un sentiment fort de solidarité villageoise qui s’installa dans nos campagnes. On avait peur, on se taisait, mais si c’était nécessaire on donnait un coup de main...

L’hôtel n’accueillait pas que des Résistants. Nous avons vu que des étrangers étaient là, des Juifs aussi et nous possédons la copie d’une lettre de dénonciation disant qu’il y avait  deux femmes, recherchées par la police.Le rapport a été envoyé à la Gendarmerie de Malaucène le 28 juillet 1943 par quelqu’un de Sèvres qui fuyait « la relève » qui a descendu à l’hôtel, qui est « entré en bons termes avec l’hôtelier qui professe des idées gaullistes très avancées » et qui est resté là un mois.
« Pendant ce laps de temps, j’ai remarqué la présence de deux femmes, la mère et la fille du nom de Jeffroy, ou Geoffroy, Suzanne et Simone. Elles professent des idées gaullistes très avancées. J’ai pu savoir que toutes deux avaient été condamnées à des peines de prison pour atteinte à la Sûreté de l’État.
Il y a dans cet hôtel des réunions clandestines de défaillants à la relève où aucune personne étrangère n’est admise. 
Ce sont les deux femmes Geoffroy qui prennent l’initiative des ces réunions. [...]
À plusieurs reprises, j’ai été menacé de mort par ces deux femmes si je parlais de ces réunions à la police. [...]
Elles ne parlaient que d’attentats contre les mairies pour se procurer des titres  d’alimentation.
L’hôtel du Ventoux n’est fréquenté en grande partie que par des réfractaires.
[...] La femme Geoffroy Suzanne se fait appeler Barnier et Dumontier. La fille Simone, se fait appeler Jourdans, Maryse. Elles doivent être domiciliées à Nice. »  
Évidemment, on sent le repenti qui veut se faire pardonner d’avoir fui Sèvres pour ne pas partir au STO. Ces deux femmes Geoffroy ont-elles réellement existé ? Si oui, s’appelaient-elles vraiment Geoffroy ? Et dans ce dernier cas, sont-elles parentes de Jean Geoffroy, le déporté de notre précédent feuillet ? Peut-être aurons-nous quelques réactions suite à la lecture de ce numéro 15...

Nous continuerons ce passage « Hôtel du Ventoux » dans un feuillet à venir, mais nous ne voulons pas vous quitter sans signaler que la Médaille de la Résistance a été octroyé au couple Liotard. 
La grand mère que nous avons connue mettait aussi la main à la pâte !

*Un courrier récent envoyé au maire de Malaucène atteste que cet écusson a été fabriqué à Malaucène par Marguerite Julien, chez qui vivait alors l’expéditrice du courrier. Nous essaierons de prendre contact avec cette personne...



LE DIAPORAMA


Abel Liotard à l'époque du chalet Liotard

Écussons du Maquis Ventoux de fabrication artisanale. Le "Ventoux 33" peut être celui d'un chantier de jeunesse.