La Libération de Malaucène (16)

Un film : Les héritiers


Nous sommes aux deux-tiers ou aux trois-quarts de notre vagabondage dans le Malaucène de 1939-45. Bientôt, il faudra mettre un terme à cette chronique hebdomadaire et je reçois quelques courriers d’encouragements. Parmi ces derniers, il y a nettement trois catégories : ceux qui sont heureux qu’une partie de notre histoire villageoise soit ainsi sauvegardée, ceux qui louent ma modération dans les jugements portés vis-à-vis des acteurs de l’époque et ceux qui me disent que ce que j’écris est probablement un peu trop « tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil. » Vous avez tous raison (ce n’est pas de la démagogie, je le pense profondément) et ce serait trop long d’épiloguer là-dessus.


Ce serait trop long, mais je vous conseille à toutes et tous d’aller voir le film Les héritiers.C’est l’histoire d’une classe de seconde d’un lycée de la banlieue parisienne composée de lascars (ça se dit aussi au féminin) qui vont tout droit vers l’échec scolaire. Ils seront sauvés par une prof (Ariane Ascaride) qui les pousse à se présenter au Concours national de la Résistance et de la Déportation dont ils seront finalement les lauréats. C’est - de mon point de vue - très beau et très dur aussi, et si quelques critiques grincheux trouvent que ce n’est qu’une romance de plus, nous leur rappellerons :

1 - que tout part d’une histoire vraie;

2 - que verser quelques larmes d’émotion (et je les ai versées) ne fait du mal à personne ! Et ce n’est pas forcément un signe de mauvaise qualité d’un film ou d’un livre !

Jacques Galas

13 décembre 2014



Un peu plus de détails




SOUVENIRS 
DE LA LIBÉRATION DE MALAUCÈNE (XVI)
Une rafle sur dénonciation dans la Grand’Rue

Avant de parler de cet épisode douloureux, nous voulons signaler deux anecdotes de la vie quotidienne. Il y a dans les archives d’Abel Liotard, conservées par Dominique Bodon, un document intitulé Ordre de prélèvement   et dûment daté du 17 novembre 1942, ainsi libellé : « J’ai décidé de prélever le dessus et la bordure de votre comptoir en étain... ». Signé du Commissaire à la mobilisation des métaux non ferreux. Il est précisé que le comptoir faisait 2,30 m de long et que le kilo d’étain valait 200 f.
Une autre réquisition, manuscrite celle-là et à en-tête de la milice française de Vaucluse signale que la milice d’Avignon a emporté deux cageots... vides ! Apparemment stupide (ces cageots représentaient-ils une preuve des activités « illicites » de leur propriétaire ou, plus prosaïquement, ont-ils servis à emporter d’autres réquisitions faites par ailleurs ? Mystère !), ce document est intéressant car il porte une date : le mardi 13 juin 44 et il précise ainsi les dires de nos témoins précédents (Robert Liotaud, notamment) sur les visites de la milice à Malaucène.

Revenons à la rafle. Nous l’avons déjà évoquée lorsque nous avons parlé d’Omer Rousseau. Elle intervient au petit matin, le 1er août 1944, le lendemain de la chute de l’avion du capitaine Jallier. Et elle n’est que le début d’un long périple d’une bande composée de gens de la Gestapo et de miliciens, périple qui se continuera à Violès (un meurtre) et se terminera à Sarrians où Albin Durand et Antoine Diouf seront abominablement torturés. Pour en savoir plus sur ce drame relire le dossier des Carnets du Ventoux n°48.

À Malaucène, ceux parmi les Résistants actifs qui ont pris l’habitude de ne pas coucher chez eux mais dans un grangeon à la campagne échapperont à ces tristes sires. Deux autres qui avaient pris le dernier tour de garde à la veillée funèbre organisée à l’hôpital devant le corps du capitaine Jallier (Marcel Tromel et André Pons) auront aussi le temps de fuir. Mais les autres seront capturés et conduits à la prison d’Avignon.
Certains vont y passer trois longues semaines.  Omer Rousseau a dit à sa fille que, pour sa part, il n’avait pas été torturé. Il pensait que les Allemands sentant la fin venir craignaient les représailles futures.
Mais le chef, Abel Liotard, a subi, lui, les tortures d’un sale individu, un français qui lui disait : « C’est aujourd’hui que tu vas crever, salopard ! ». Malgré la douleur physique et psychique, il tiendra le coup et si la Libération d’Avignon a eu lieu le 25 août, il ne sortira de prison que le 26, accompagné de Paul Vendran.
Ils n’ont pas voulu participer aux manifestations de joie collective qui se passaient dans les rues d’Avignon et ils ont pris directement le chemin de leur village... à pied ! À cette époque-là, on ne marchait pas encore pour le plaisir comme de nos jours. On marchait tout naturellement parce qu’on n’avait pas encore pris l’habitude de prendre sa voiture (quand on en avait une !) pour la moindre petite course au village. Et 45 km ne faisaient pas peur à nos deux anciens qui avaient hâte de revoir leurs familles. On peut mesurer le soulagement des uns et des autres de les retrouver très probablement affaiblis mais vivants !

Léon Bodon
C’est un militaire qui arrive à Malaucène par hasard pour entrer dans le maquis Ventoux. Il passe évidemment par l’hôtel d’Abel et de son frère. On nous le décrit un peu comme une tête brûlée. Son fils : « un vrai militaire, droit, raide comme la justice. »
Une citation du Général Chadebec de Lavalade, commandant de la XVe Région militaire précise ces impressions : 
« Combattant hardi, d’un courage qui frise la témérité », écrit son Général. Les impressions laissées dans le village sont donc justes.
À la fin de la guerre, il rencontrera le regard admiratif de la fille d’Abel. Ils se marieront et auront trois enfants et c’est Dominique, l’un des trois donc, qui précise :
« Le salopard qui a torturé mon grand’père sera arrêté et condamné à mort à la Libération. C’est mon père - qui ne savait pas alors qu’il se marierait avec la fille d’Abel  - qui a commandé le peloton d’exécution et c’est lui qui a donné le coup de grâce à ce traître. »

Il y a comme ça, dans toutes les guerres, des moments où l’on peut croire que le destin et la morale sont cousins. Attention ! ils sont vraiment très rares...


LE DIAPORAMA


L'affiche du film Les héritiers

Une partie du texte de la citation de Léon Bodon